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Tulpa et Tampopo
Tulpa et Tampopo
  • Tulpa, c'est la tulipe en suédois. Tampopo, c'est le pissenlit en japonais. Je rêve de visiter ces deux pays, et j'aime les fleurs, même si je n'ai pas la main verte. Logique. Ce blog va être un joyeux bordel. Vous êtes prévenus.
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21 juin 2018

Essai d'écriture - Le Soulèvement des machines

La première loi dit pourtant qu’un robot ne peut porter atteinte à un être humain. C’est dans leur programmation. Cette loi qui prime sur les autres. Avant celle qui les oblige à nous obéir. Avant celle qui leur permet de protéger leur existence. C’est la loi originelle, celle qui ne peut être transgressée. Les robots sont là pour nous protéger. Ils sont programmés pour ça. Il est impossible qu’ils nous fassent du mal. Impossible.

Ces mots tournent en boucle dans ma tête pendant que j’assiste, hébétée, à la scène qui se joue dehors.

Il fait nuit. Une nuit sans étoiles, comme toujours. La pollution lumineuse ne nous permet plus de les admirer depuis plusieurs années. Mais ce soir, ce n'est pas le ciel que je regarde, car toutes les lumières de la ville me donnent une vision très précise du chaos qui règne huit étages plus bas.

Humains et robots sont en proie à un violent corps à corps. D’ici, il me semble que les citoyens ont pris tout ce qu’ils pouvaient pour se défendre : armes à feu, battes, barres de fer, couvercles de poubelles... Les robots, eux, ne sont pas armés. Ce n’est pas nécessaire, leur force est surhumaine. L’un d’eux soulève une voiture et la jette dans la foule. Certaines personnes ont eu le temps de s’écarter. Pas tout le monde.

Les théoriciens du complot disaient donc vrai. Les machines se soulèvent. Elles sont devenues incontrôlables en dépassant leur programmation pour développer une conscience propre. Et aujourd’hui, elles ont décidé qu’elles ne seraient plus nos esclaves. Maintenant, ce sont elles qui veulent nous contrôler.

L’impuissance me submerge face à un tel carnage. L’issue de ce combat ne fait aucun doute. Nous ne sortirons pas vainqueurs. Leurs capacités dépassent de loin les nôtres. Se battre, c’est la mort assurée. Seules deux solutions s’offrent à nous pour survivre : la soumission ou la fuite. Et je refuse de me soumettre à des machines.

Je m’arrache à ma contemplation pour me diriger vers ma chambre et sors le grand sac de randonnée que mon père m’avait offert à ma majorité, lorsque je voulais encore parcourir le monde. Vingt ans qu’il dort dans ce placard. J’y fourre à la hâte quelques vêtements, des affaires de toilette et une trousse de secours, puis cours jusqu’à la cuisine pour y prendre quelques vivres. Barres de céréales, protéinés, plats sous-vide… Si j’avais su que mon incapacité à cuisiner me sauverait un jour la vie !

Il faut que je retrouve ma gourde et mon couteau suisse. Pas le temps de faire dans la dentelle. Je retourne tous mes placards et tiroirs, laissant leur contenu au sol. Je finis enfin par leur mettre la main dessus, au milieu d’autres trésors : loupe, briquet, boussole et corde. Je remplis la gourde et emballe le tout. Il ne me reste plus qu’à m’habiller.

J’enfile mon pantalon quand un long sifflement retentit au fond de l’appartement. Je comprends tout de suite de quoi il s’agit : mon robot personnel s’est remis en marche. L’activation du protocole de sécurité ne l’a pas neutralisé.

J’accélère le mouvement. Il me reste encore quelques minutes avant que ses fonctions ne soient complètement opérationnelles. En faisant vite, j’ai le temps de fuir.

Mon sac sest plus lourd que je ne l’imaginais. Cela va ralentir ma course, mais il me suffira d’atteindre les égouts pour être en sécurité.

Je rejoins l’entrée à toute vitesse et peste en me rendant compte que mes chaussures tout terrain sont perchées en haut du placard. Ni une, ni deux, j’attrape une chaise à la volée.

Mes mains tremblent lorsque je fais mes lacets. Encore quelques précieuses secondes de perdues. Pourquoi n’ai-je jamais investi dans ces nouvelles chaussures à fermeture magnétique ?

Un bruit sourd se fait entendre, et je me fige en voyant la porte de la seconde chambre s’ouvrir. Nestor apparaît dans l’encadrement de la porte et me fixe de ses yeux gris interrogateurs.

- Que fais-tu Andréa ? Tu vas quelque part ?

- Oh, tu es réveillé ! J’ai décidé sur un coup de tête de partir faire une randonnée de quelques jours. Cela fait longtemps que je n’ai pas pris l’air.

Je parviens à peine à garder un semblant de calme dans ma voix. Nestor tourne la tête vers la fenêtre avant de reporter son attention sur moi.

- Il fait nuit. Cela ne me semble pas le moment idéal. Tu devrais attendre le lever du jour.

- Si j’attends demain matin, je n’aurais plus envie de partir. Tu sais comme je suis. Quand j’ai décidé quelque-chose, il faut que ça se fasse tout de suite !

De nouveau, Nestor regarde dehors.

- On dirait qu’il y a beaucoup de monde dehors. C’est agité et très bruyant. Je croyais que tu n’aimais pas la foule. Que c’était pour ça que tu restais toujours à la maison et que tu te faisais livrer ta nourriture.

Il me devient presque impossible de masquer ma nervosité. Je me dandine d’un pied sur l’autre avant de lui répondre.

- J’ai réfléchi à tout ce temps que j’ai perdu. À quoi bon vivre si c’est pour rester enfermé ? Le grand air me manque. Mais ne t’inquiètes pas, je reviens dans quelques jours.

Il s’avance vers moi de quelques pas.

- Tu mens. Mes capteurs ont détecté une montée de stress et une augmentation du rythme cardiaque. Tu vas partir. Tu vas me laisser seul.

- Non, non ! Je te promets que je reviens bientôt.

Il s’avance encore de quelques pas. Mes yeux passent rapidement sur la chaise avant de revenir à Nestor. Cela ne lui a pas échappé.

- Tu as peur de moi.

- Mais non, voyons ! Après tout ce que nous avons vécu ensemble… Tu es ma seule famille, tu le sais bien.

- Si je suis ta seule famille, pourquoi as-tu activé le protocole de sécurité ? Ne me mens pas. Tu sais que j’ai tout gardé en mémoire.

Ma bouche devient sèche.

- Je... Heu, je…

Nestor parcourt d’un bond la distance qui nous sépare et porte sa main à mon cou.

- Tu as voulu me nsupprimer.

- Non, je voulais juste… m’assurer que tu sois complètement inoffensif. Je… Depuis ce matin, on entend partout que des robots attaquent des humains. Même au sein des familles. Ils ont tué des enfants !

La main de Nestor serre un peu plus mon cou.

- Tu m’as toujours dit que je n’étais pas comme eux. Que j’étais différent. Que j’étais plus qu’une machine.

- Oui, Nestor ! Oui ! Tu es différent !

- Tu as dit que tu m’aimais. Que tu resterais toujours avec moi.

- Oui, je t’aime. Tu sais que je t’aime.

- Alors pourquoi as-tu essayé de me tuer ?

- Je n’ai pas…

Nestor ne me laisse pas le temps de finir ma phrase. Son bras mécanique me soulève de terre. Je ne peux plus respirer. J’ai mal.

- Puisque tu as voulu me tuer, alors moi aussi, je vais te tuer.

Sa main me serre, et je suffoque. J’aurais préféré garder comme dernière image de lui celle de notre première nuit ensemble. Ses yeux étaient si doux, ses mains si habiles. On aurait pu vivre comme ça encore des années. Mais aujourd’hui, son regard est d’acier. Il me fait mal.

Je ferme les yeux et pleure de tristesse et de douleur. Je ne me débats même pas. À quoi bon ?

- Moi aussi je t’aime, Andréa. Moi aussi.

J’entends ces mots chuchotés à mon oreille en guise d’adieu avant de rendre mon dernier souffle.

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